Mars Express affiche

Mars Express est un excellent film d'animation de Hard SF, qui nous fait plonger dans un monde futuriste avec un réalisme saisissant. En se reposant toujours sur l'intelligence de ses spectateur·ices, il incarne une antithèse française du cinéma de science-fiction actuel.



La science-fiction est un genre assez rare au sein du cinéma français. Ses représentants semblent être surtout américains. Pour en citer quelques-uns : les sagas Alien et Predator (mes préférés), The Creator de Gareth Edwards (le plus récent, 2023), et bien sûr, Star Wars. Les États-Unis ont produit beaucoup d’œuvres phares de la SF. Toutefois, la France possède, elle aussi, une empreinte très forte sur la science-fiction.

Pour commencer, le père même du genre provient de notre contrée. Il s’agit de Jules Verne, célèbre écrivain du 19ᵉ siècle. Ses livres (Vingt Mille Lieues sous les MersVoyage au Centre de la Terre et De la Terre à la Lune) ont contribué à la naissance de la science-fiction. Au sein de ses écrits sont apparues ses caractéristiques : l’anticipation, l’utopie et la présence d’éléments à caractère scientifique.

Ensuite, la culture SF contemporaine a été très fortement impactée par le magazine français Métal Hurlant. Créé et édité par Les Humanoïdes associés en 1975, il s’agit d’un magazine de bande dessinée SF qui a mis en avant de nouveaux univers de BD, plus violents, sexy, amoraux et se séparant des codes esthétiques de l’époque. Il s’exporta aux États-Unis sous le nom de Heavy Metal et fit de ses fondateurs (Philippe Druillet, Jean-Pierre Dionnet et Moebius) les saints patrons de la SF. Pratiquement tous les chefs-d'œuvre contemporains du genre ont été de près ou de loin influencés par Métal Hurlant (Star WarsBlade RunnerMad MaxDune, etc.).

Métal Hurlant, numéro 79, 1982.

Côté cinéma, nous sommes tout de même à l’origine du premier film de SF de l’histoire : Le Voyage dans la Lune de George Méliès (1902). Même si ce sont des ovnis dans le paysage cinématographique français, il en apparaît toujours de temps en temps. On peut citer les films de Marc Caro et Jean-Pierre Jeunet (Delicatessen, La Cité des enfants perdus, Dante 01), les films d’animation de René Laloux (Les Maîtres du temps, La Planète sauvage) et des films récents comme Dans la Brume de Daniel Roby (2018), Méandre de Mathieu Turi (2020) ou Oxygène d’Alexandre Aja (2021).     

 
À gauche, Mathieu Turi, Méandre, 2020. À droite, René Laloux, La Planète Sauvage, 1973

Le dernier en date est sorti fin 2023. Il s’agit de Mars Express, un film d’animation français réalisé par Jérémie Périn. C’est un polar de science-fiction prenant place dans un futur où robots et Intelligence Artificielle font partie du quotidien.

Scénario

En l’an 2200, de retour sur Mars après la traque d’une hackeuse, la détective privée Aline Ruby et son partenaire Carlos Olivera, un androïde avec la conscience de Carlos mort cinq ans auparavant, se voient confier une enquête sur la disparition de Jun Chow, une étudiante en cybernétique.

Cette enquête va les mener au fin fond de Noctis, la capitale Martienne, explorer les recoins les plus sombres et absurdes de la cité. Ils vont découvrir un complot impliquant la place des robots dans la civilisation et qui risque de mettre en danger l’équilibre de la société humaine.

Ce film possède un scénario de SF simple, mais efficace. On y retrouve des éléments caractéristiques du genre : des robots, de l’IA, des technologies avancées, la colonisation de Mars, etc. Toutefois, son exécution dans la représentation de cette société futuriste est ce qui fait de Mars Express un excellent film.

 

Un futur réaliste

Mars Express prend le parti pris de montrer une vision réaliste de sa société et de ses personnages. La société humaine mise en place par le film nous montre une version cohérente du futur, que ce soit technologiquement, socialement ou moralement. Nous voyons une société qui a évolué, dont les mœurs se sont adaptées à l'intégration des robots et des IA dans notre quotidien.

Vous allez croire à la possibilité de ce monde, si logique et évident. Cela passe par exemple par la présence d'une séparation sociale entre les pauvres sur une Terre surpeuplée et appauvrie, et les riches sur une Mars luxueuse et rutilante de technologie haute gamme. Ou bien, par la constatation de l'absence de morale envers l'utilisation des robots.

Carlos, un personnage entre humain et androïde.

Le film met en scène des personnages « humains ». Par là, j'entends des personnages imparfaits. Nous ne suivons pas des héros·ïnes parfait.es et irréprochables qui se sortiront de n'importe quelle situation avec panache. Aline et Carlos sont des êtres imparfaits, avec leurs défauts et leurs fautes. Il n'y aura pas de coup de baguette magique scénaristique pour les aider à se sortir des événements qui leur arrivent, pour le meilleur… Et pour le pire.

Dans beaucoup de films, les personnages et le monde dans lequel ils évoluent semblent être au service de l'histoire que l'on veut raconter. Ici, c'est l'inverse. L'enquête menée par les héros·ïnes nous amène à découvrir les personnages et la société martienne. Elle permet de mettre en lumière les problématiques morales qu'implique un tel monde (la place de l'IA et de la machine dans la société, leur rapport avec l'Humain et l'humanité) de façon fluide et naturelle.

 

Des visuels cinématographiques

Le film met en scène son intrigue, sa société futuriste et ses personnages à l’aide d’une animation qui brille par sa sobriété. Contrairement à un Spider-man: Across The Spiderverse, l'animation ne part pas dans des effets de style comme elle seule sait le faire, à coup de déformation, d'explosions de couleur, etc. Dans Mars Express, l'esthétique est fonctionnelle. De plus, il y a un rapport logique entre cette sobriété visuelle et le traitement terre-à-terre de la SF. Dans les deux cas, il n'y a pas de fioriture, pas d'exagération. Le film va droit au but, même dans ses scènes d'action. Celles-ci sont claires, lisibles et ainsi, d'une efficacité glaciale (et ce, dans le meilleur sens du terme).

Aline Ruby et Carlos Olivera, le duo de détectives.

Le film mélange 2D et 3D. Ces animations correspondent à certains personnages : la 3D pour les robots et la 2D pour les humanoïdes. Cette opposition n'est pas gratuite. Elle sépare visuellement et symboliquement machine et humain, tout en les fondant l'un dans l'autre (la différence entre 2D et 3D est difficile à voir au premier coup d’œil), illustrant ainsi la nature même de leur rapport au sein du film. Des machines qui ne peuvent être humaines, mais qui pourtant nous ressemblent tellement. Un des personnages du film connaît même une transition entre 2D et 3D au fur à mesure qu'il se questionnera sur sa propre nature.

Mars Express est un film très accessible pour les non-initié·es, les non-convaincu·es de l'animation. Tout d'abord, l'esthétique est héritée du style de la BD française, notamment pour les personnages. Sa mise en scène est réfléchie comme celle d'un film en live action. On y trouve des choix d'angles de caméra, de focale et de profondeur de champ qui donnent la sensation d'avoir une caméra plantée dans un décor réel avec des acteurs. En traitant ainsi la mise en scène, le film floute la limite entre live action et animation, entre réel et artificiel, entre humain et machine.

Une course contre la montre pour sauver Jun Chow.

À la découverte d'un monde

Au cinéma, il existe une règle tacite : Show, don't tell. Si l'on veut dire quelque chose, il vaut mieux le montrer par l'image, la caméra et la mise en scène plutôt que de tout exposer par du dialogue, ce qui risquerait de rendre le propos superficiel. Cela donne la sensation que lae spectateur·ice est considéré·e comme incapable de comprendre autrement que par des mots. Mars Express, lui, ne prend pas ses spectateur·ices pour des idiot·es, et c'est extrêmement rafraîchissant.

Le film nous plonge dans la société martienne sans nous fournir d’explications sur son fonctionnement, sa technologie, son ordre social et son histoire. C'est à nous de la découvrir, la comprendre grâce aux éléments montrés à l'image au fur et à mesure de l'histoire. Mars Express laisse en plus une part de mystère sur son monde. Tout n'est pas montré. Des événements sont évoqués. Des paroles sous-entendent certaines choses. Par exemple, pas besoin de connaître les trois lois de la robotique d'Isaac Asimov pour comprendre à quelles règles les robots doivent obéir dans le film. L'histoire, l'image, la mise en scène nous l'ont déjà fait comprendre intuitivement, ou vont nous le faire comprendre. Un univers dont nous ne savons pas tout paraît plus crédible, plus réaliste et plus intéressant. Il laisse une part d'interprétation (c'est le cas notamment pour la fin du film) et semble ainsi ne jamais vraiment se finir même une fois le film fini.

Noctis, la capitale Martienne

Pour finir, Mars Express est une pépite du cinéma français. Il nous fait découvrir un monde futuriste purement SF sans nous tenir par la main. C’est un film qui peut satisfaire amateur·ice d’animation pour adulte ou adepte des live actions. Son histoire vous embarquera dans l’exploration des limites floues entre humanité et intelligence artificielle à travers une histoire d’enquête efficace et bien ficelée.

Fin de l'article
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Par Roxane